A propos de la relation patient /soignant & de la nature du savoir
((((Je sais) que tu sais) que je sais) que tu sais) 1
Liminaire
Ce que nous apporte la découverte freudienne, c’est non seulement le poids de la parole dans la construction de la guérison mais aussi, pour y parvenir, une détermination essentielle du point de vue de sa méthodologie. En effet, dans son approche de la structure hystérique, en particulier avec Breuer, Freud va pouvoir agir sur le symptôme, là ou avec Charcot, quelques années plus tôt il n’avait fait que voir ce dernier et dresser le tableau clinique.
Cette capacité d’action repose principalement sur la mise en œuvre de ce l’on nommera "la règle fondamentale" 2
Véritable outil, celle-ci consiste à inviter le patient à tout dire de ce qui lui vient à l’esprit et, en conséquence, à ne pas trier ses pensées. Ce qui revient à dire de n’omettre aucune de ses pensées. Il apparaitra à l’usage clinique que cette règle aux deux aspects sera nécessairement transgressée, tant par la présence du psychanalyse que par son écoute.
Ce dernier constitue une certaine matérialisation de la dimension surmoïque, toujours difficilement franchissable, du moins pour la structure psychique la plus répandue : la névrose. Ainsi, le chemin de l’analyse (ou de la psychanalyse) est davantage la voie/x de la guérison, entendue comme une libération qu'une suppression de la pathologie. Encore faut-il saisir que cette "liberation" advienne comme la tentative, celle d'un effort de « ne jamais cesser de tenter » de dépasser cette limite. Ce que l'on pourrait nommer comme un "ne jamais céder sur son désir"Au-delà du cadre analytique qui se construit avec la mise en œuvre dite de la règle fondamentale, une conséquence déterminante apparait. En effet, cette dernière joue un rôle central dans la nature du savoir dont il est question dans la relation soignant/patient. Elle modifie d'une certaine manière la nature de ce savoir par le déplacement des places occupées par les protagonistes.
Soigner avait jusqu’alors était toujours entendu comme l’action qu'un sachant, le médecin, pouvait avoir sur le corps d’un patient.La relation déséquilibrée, dissymétrique, tenait à la place et au statut même du savoir, toujours définis et attribués à un savoir quantitatif, que l’on nomme scientifique dans le sens ou celui qui le possède connait la relation de cause à conséquence dans les principes logiques qui fonde le discours scientifique.
Or, dans ce cadre dit analytique, tel que Freud le met en oeuvre, puis Lacan au XXème siècle, quelles transpositions, et donc "applications" - pouvons nous conserver - et qu'est-ce cela peut impliquer-, dans la relation Patient-Soignant ? N'y aurait-il pas à l'horizon ces questions, une approche de ce que soigner peut vouloir dire dans le champ d'une médecine dite moderne ?
par Frédéric BIETH
France Rein Poitou-Charentes
L'hypothèse que le sachant se laisse enseigner ce qu’il ne pourrait savoir sans l’instruction du patient, consacre le renversement de la place du savoir tel qu'évoqué ci-dessus.
Celle-ci n’est plus exclusivement dans les mains du sachant tel qu’on le définit classiquement. Il passe au patient et affirme finalement qu’il est celui qui sait le mieux ce dont il souffre. La similitude entre la démarche dite « scientifique » et l’approche « psychanalytique » est sur ce point similaire. En effet, on pourrait parler dans ce cas de l’anamnèse dont le soignant a besoin et qui inaugure normalement toute consultation. Or, la comparaison ne peut aller plus loin.
En effet, il s’agira pour le soignant non plus d’entendre simplement ce qui est dit dans un sens factuel et informatif mais bien plus d’entendre comment cela est dit, et par la même de percevoir - tout comme les mots d’un patient en font le tissage et sa subjectivité -, surtout le réel 3, celui de la maladie auquel le patient ne peut se soustraire.
Toutefois, ce changement de place du savoir, cette inversion, a pour conséquence de modifier radicalement la nature même du savoir. A la lettre, avant, le soignant était celui qui savait, son savoir était quantitatif et ne lui appartenait pas en propre. Or, lorsque la reconnaissance de l’inversion se réalise, son savoir revient à se confondre avec le grand principe socratique : « de ne savoir qu’une seule chose c’est qu’il ne sait rien. » En affirmant cette seule et unique connaissance le soignant produit la capacité, la potentialité - pour cet autre qu’est le patient, non pas de faire droit à une simple empathie, qui serait vide de sens, mais de conférer pour le malade la possibilité de se raconter dans sa maladie, en lieu et place de cette dernière.
Bien loin est l’idée de restaurer une dimension subjective simplement pour elle-même. Pourtant, sans le savoir, trop souvent, certains soignants s’opposent à cette position au nom d’une conception gratuite et réduite de l’efficacité qui ne dépasse jamais la pratique de la médecine, d’une technique, là où elle doit s’imposer comme un art quand il ne s’agit pas d’une résistance sur le mode d’un « je n’en veux rien savoir ». Ainsi, ce que l’on nomme la capacité d’écoute élabore une place au soignant qui dans le cas contraire lorsqu’elle n’est pas mise en œuvre réduira son action à la croyance, celle de se prendre pour un démiurge.
De fait, le traitement proposé ne reposera pas alors sur autre chose que sur la toute-puissance d’une objectivité purement dédiée à une causalité rationnelle dite démonstrative. Or si l’on peut considérer certaines pathologies comme ayant « une essence », une ontologie propre – la grippe existant dans une éprouvette en dehors du sujet -, les pathologies qui conduisent notamment les patients en dialyse n’existent pas en dehors du sujet qui les porte, l'atteinte de la fonction rénale.
Pas de maladie sans malade 4 est une approche qui permet d’affirmer que le malade sait sans savoir. Il sait bien plus de la maladie parce qu’elle est toujours un savoir de sa maladie -, auquel le soignant ne peut parvenir. Mais le patient ne saurait accéder à ce savoir, et à le déchiffrer, sans le retour que constitue l’écoute réalisée par le soignant et dont la finesse et la consistance réside dans le traitement proposé. Ainsi, savoir qu’il a été entendu donne la possibilité au patient de construire l’adhésion à la proposition thérapeutique du soignant et marque toute la subtilité du soin. L’accord à la proposition thérapeutique qui ne consiste pas seulement à prendre des médicaments n’est efficace que dans ce temps secondaire, celui du retour qui souligne la capacité d’écoute du soignant.
C’est littéralement ce que peut engager une définition de soigner qui correspondrait alors à revenir à un état d’équilibre entre le normal et le pathologique dès lors que l’on admet dans cette pratique que les critères ne sont jamais définis de manière absolue mais dans une relativité qui fait droit à un espace par et pour la parole du patient.
Ne peut-on dire alors que soigner - comme proposer l’effectivité du soin-, s’entend dans sa réalité, son efficace comme entendre la parole du patient, ou plus précisément la restituer comme celle d’un sujet parlant ?
Si tel est le cas, il nous faut alors reconnaitre que soigner ne revient pas à être soignant dans le sens d’une pétition de principe arbitraire dont la seule autorité et légitimité serait une rationalité froide à l’image d’une raison souvent instrumentale si bien décrite par Th.W. Adorno. Bien au contraire, il s’agit de pouvoir affirmer par « reconnaissance» que lorsque l’on occupe une place d’écoute pour un autre, un lieu vide ouvert à la perlaboration, s’énonce alors ce savoir un/in-su qui fait notre humanité.
Ce que nous percevons dans ces temps de la relation Soignant/ Patient comme une parfaite imperfection, ne cesse pas d’interroger les bords et les limites de notre existence humaine, la maladie. Elle laisse apparaître un savoir de l'ex-sistence humaine, à celui qui a le réel désir de soigner. Elle ou Il saisit sous ce vocable de soin, son efficace qui n'est autre que la possibilité de construire de restituer du sens, un sens pour de l'autre, un sens à l'autre.
Consubstantiel au patient, à une subjectivité, celle ou celui qui pourra entendre et construire ce sens - en sachant occuper cette place vide, aura la possibilité de savoir ce que veut dire soigner et de surcroit soigner effectivement.
Paris, Mars 2024
Notes
1.((((Je sais) que tu sais) que je sais) que tu sais) » Cette expression provient du Séminaire de Jacques Lacan. Désignée sous le nom de « savoir des parenthèses » elle met en avant dans son analyse la place du savoir et de comment les différents degrés de ce dernier - lorsqu’ils sont adressés-, se développent en abyme et changent sa nature.
2. La règle fondamentale ou de l’association libre consacre la particularité de la pratique analytique. Elle s’accompagnera de la production d’une relation nommé transfert qui pourra être qualifiée selon les temps comme transfert négatif ou positif. Il sera toujours l’expression de la relation du psychanalyste au patient. L’effectivité, la Wirklichkeit au sens hégélien se comprend comme « ce qui est » et se comprend dans sa formulation circulaire : « Tout ce qui est réel est rationnel, et tout ce qui est rationnel est réel »
3.Nous entendons « réel » au sens lacanien du terme, à savoir, Le Réel comme l’impossible à nommer et qui confronte le sujet à l’angoisse, la peur, l’horreur.Le réel est une des dimensions qui avec l’Imaginaire et le Symbolique qui permettent de penser la structure psychique à partir des relations qu’elles entretiennent. Ces dernières sont élaborées sur le mode du nouage, en particulier du nœud borroméen dont la spécificité et de ne pouvoir se séparer d’une dimension sans défaire le nœud. Le réel est probablement ce qui est dans la continuité hégélienne mais qui marque en plus dans son sens lacanien l’absence de représentation par défaut de nomination.
4. Sur cette question le cadre d’expérimentation que peut constituer les maladies auto-immunitaires souligne la part du patient tant dans la guérison que dans la causalité de ces pathologies qui restent qualifiées de multi-factorielles à défaut accéder au lien de causalité et à produire un discours purement rationnel.